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19 Apr

Perpignan, Floride

Publié par Perpignan Art-Déco  - Catégories :  #Textes

Comme à South Beach. Les hublots et les bastingages.
Les bow-windows. Le bleu layette. Le vert anis. Le rose saumon.
Oui. Il y a à Perpignan un patrimoine dormant.
Lorsque ma ville se découvre à peine des trésors médiévaux et gothiques.
Que l'Armée peu à peu restitue au public. Des places fortes désenclavées.
Alors qu'au-delà des remparts, voilà que l'Art Nouveau explose sur les boulevards.
Mais le patrimoine qui me touche est celui plus récent de l'entre-deux-guerres.
Miami, c'est d'accord, a son Art Deco District.
Et je veux montrer à mes frères catalans le capital qui est le leur.
Elle est touchante ma ville, qui n'a pas conscience de sa beauté,
qui semble ignorer ses atouts, ses attraits, lorsque c'est ce qui fait son charme.
Voilà cette fille splendide, ou ce garçon manqué, aux façons maladroites,
qui est aussi emportée dans l'expression de l'orgueil le plus farouche,
que dans son penchant à se dévaloriser, se dénigrer, et s'étonne de pouvoir plaire.
Pas facile à cerner. Elle peut paraître entière lorsqu'elle est bien complexe.
Sous des abords grossiers, montre autant de finesses que de subtilités,
à qui prendra le temps de vouloir la connaître.
J'ai le temps de m'y perdre. Celui de m'y trouver.
Quand sa pudeur étrange finit par la tromper.
Tu n'es pas, ma chérie, celle que tu crois être.

Autour du Palais des Rois de Majorque.
Derrière le Palais des Congrès. Comme au-delà de la place Cassanyes.
Personne n'aurait-il jusqu'ici fait l'inventaire des immeubles, des maisons, des rues,
qui affichent l'air de rien un style Art Déco pur jus,
assumé, dans ses quartiers tranquilles ?
L'hôtel Mondial, le Tivoli, comme réponses au Delano, au Colony,
quand une Streamline a franchi l'Atlantique et que Perpignan évoque Miami.
Tropical Roussillon. Vous pouvez bien sourire.
Les lignes sont parfaites. Le parc vertigineux.
Dans la rue du Stadium. Celle du Docteur Rives. J'écarquille mes yeux.
Aux villas jumelées. A ces maisons siamoises.
Aux angles arrondis. A quelques pergolas.
J'avais le souvenir de cette architecture, si longtemps méprisée, que j'étais si heureux
de pouvoir retrouver, si loin, en Amérique, où elle est adulée, si bien mise en valeur,
mais j'avoue volontiers ne m'être pas douté à quel point elle régnait, ici, à Perpignan,
à longueurs de faubourgs et de lotissements.
Barcelone, moderniste, n'a pas l'équivalent.
Il y a la Maison Rouge, comme encouragement. On commence à bouger.
A secouer un peu la Belle aux bois dormants. Quand c'est une première pierre.
Qu'il y a un territoire prêt à être exploré ou juste reconquis.
La maison de Bausil, perchée sur le rempart, peut donner le signal.
Il y a là du pétrole. Plus que du potentiel. On est dans l'opulence.
Je dérive sur mes jambes sur un Ocean Drive sans Cubains et sans gays,
sans surfeurs, sans rollers, mais avec ses palmiers.
Le mien peut se passer de gars bodybuildés.
Et longer dans les terres la Méditerranée.

J'ai trouvé au retour une fille décidée.
J'étais parti un temps. Elle a dû me manquer.
Elle avait profité de ce temps où, cinq ans, j'avais le dos tourné,
pour commencer sans moi à lâcher ses cheveux et se remaquiller.
J'avoue. Le centre-ville. Etait méconnaissable.
Les couleurs des enduits, curcuma ou safran, révélaient des façades.
Gérone, tiens-toi bien. Ta voisine s'éveille. Son coeur s'est apprêté.
Je rentre de Paris. Je suis émerveillé. Ravi et fou de joie.
Perrault comme Nouvel venus la relooker.
Je vois bien que la dame est sûre de son effet.
Et je suis extatique à la rampe qui monte de St-Jean à St-Jacques,
du passage qui s'ouvre entre St-Dominique et la Révolution.
On me rendait enfin la Chapelle du Tiers-Ordre.
Perpignan est ma mère. Et je découvre ici qu'elle est aussi une femme.
Que sous ses airs austères - d'autres diront vulgaires - il y a de jolis traits,
qu'elle peut être attirante, et même vouloir séduire.
Et le fils l'applaudit. Quand le fils est fier d'elle. L'invite à continuer.
Il y a l'Américaine, sous le ciel de Floride, qui drague le monde entier.
Mais je dis à ma ville qu'aux jeux géométriques elle peut rivaliser.
Les galons. Les chevrons. Les droites parallèles. Les eyebrows aux fenêtres
Ces lignes d'auvents bâtis. Comme pare-soleils. Qui forment autant d'arêtes.
Au règne du béton. Et des couleurs vert menthe comme rose poudré.
Ne te laisse pas faire. Maman. Tu as des atouts cachés.

Au crépuscule, la rue des Archers me fait basculer outre-Atlantique.
J'ai l'amour en ombrages qui revient sur la peau sans aucune nostalgie.
Quand je porte avec moi les passions évanouies que j'ai connues jeune homme.
Je suis vivant. Ici. Heureux et amoureux. Ne crains pas Miami.
Qui m'avait subjugué. Drogué. Ensorcelé. Au sfumato du scotch.
Au brouillard du whisky.
South Beach ou Perpignan, les lignes sont les mêmes.
L'élégance est un style, un mouvement dans l'air de ne pas y toucher.
Aux abords déglingués, il y a la discipline et la rigueur du trait.
Ma ville de désordres aux personnalités multiples et tranchées,
offre un visage d'elle qu'il me plaît d'adorer.
De St-Assiscle à la Lunette. De l'Art Déco s'est propagé.
Je le photographie quand je veux le fixer. Parmi d'autres hommages.
Et j'entends vous le dire. Aux maires de ma mère.
Un patrimoine dormant est fait
pour être réveillé.

Philippe LATGER
Août 2012 à Perpignan

L'ex hôtel Royal Roussillon

L'ex hôtel Royal Roussillon

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Le patrimoine de Perpignan des Années 20 / 30 / 40